• Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (6)

    PEUT-ÊTRE DÉPASSÉ par les inventions de plus en plus délirantes des constructeurs français de cyclomoteurs en matière de suspensions (la fourche des Babymoto ou de Rocher !), Christophe ne se sent plus de taille. Il change complètement de sujet. Dans le dernier article qu'il donne à Moto Revue en février 1952, il milite pour la... bakélite ! Et pas pour des accessoires comme les phares, feux de position, boîtes à outils, tableaux de bord ou garde-boue. Non ! Pour lui, la motocyclette tout entière sera en bakélite !

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (6)

    Mais pas du tout la même que celle de tant de bricoles offertes aux peuples modernes des années 30 : boucles de ceintures, cendriers, moulins à café, boucles d'oreilles, coupe-papier, pelles à tarte, couverts à salade, enfin tout ce "vinetège" qui alimente nos brocantes d'aujourd'hui !

    Après un cours accéléré aux lecteurs de Moto Revue sur les résines synthétiques et le phénol, fibres longues ou courtes, sciures de bois ou couches de papier, etc, Christophe préconise une bakélite en "bandes de papier enrobées de résine et comprimées à 400 kilos au centimètre carré".

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (6)

    De nombreux dessins extraits du brevet déposé par DKW accompagnent celui ci-dessus qui présente une silhouette au plus proche de la réalité.

    La fabrication d'une telle moto ne présente, bien sûr, que des avantages. La partie principale se présente sous forme de deux demi-coques, assemblées dans le sens longitudinal. À l'intérieur, sont prévus les points de fixation du bloc-moteur et de la colonne de direction. Le réservoir, dans sa position habituelle, est une pièce indépendante boulonnée dans la coque. Il est entouré d'un boudin en caoutchouc dur afin de l'isoler des vibrations éventuelles. Les deux demi-coques, moulées sous pression (forte, la pression...) sont réunies par une Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (6)résine synthétique. Elles reçoivent ensuite une coque indépendante contenant la roue arrière et sa suspension. Celle-ci est de type oscillant avec l'axe d'articulation 26 ancré derrière le bloc-moteur. L'élément de suspension 39, contenant les ressorts de suspension et d'amortissement 38-40, se trouve derrière la roue, façon René Gillet, fixé au "cadre-coque" par une biellette 41. En 45 et 46 sont prévues des boutonnières destinées à recevoir des crochets de fixation de coffres à bagages. Ce schéma est en réalité une reprise d'un brevet déposé en 1939 par (coucou, c'est nous) Auto-Union DKW !

    PETIT INTERMÈDE POLÉMIQUE

    Notre Christophe ne manque pas de souligner que le pays était alors désireux d'économiser des devises et aussi "le fer réservé à des usages pour lesquels ce métal est réellement irremplaçable". Un mauvais esprit, ce que nous ne sommes pas, penserait aussitôt à l'acier des Messerschmitt et des Panzers qu'on affûtait pour les lâcher bientôt vers l'Est (puis l'Ouest). Finalement nos motos, tout comme celles des Allemands et des Européens, restèrent en fer et bon acier. Christophe avait fini par conclure que les changements des procédés de fabrication nécessiteraient des bouleversements industriels tels (bakélite contre acier) que l'économie ne serait pas en mesure de les supporter.

    Ce qui ne l'empêche pas d'échafauder de nouveaux projets personnels. Par exemple revenir à l'endurance, et pourquoi pas au Bol d'or de 1953 ? Sitôt dit, sitôt fait. En effet, ses connexions avec les constructeurs allemands - il travaille épisodiquement pour Das Motorrad - lui procurent quelques facilités concernant le prêt de machines.

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (6)

    Fidèle à ses principes, il choisit de courir sur une machine de série. Ce sera une 250 Tornax équipée d'un moteur JLO (prononcer "ilo") deux-temps bicylindre. Aucun problème moteur, mais la rupture de l'axe de came du frein arrière l'obligera à se passer de ce frein dès le début de l'épreuve !

    Avec 275 tours de Montlhéry et 1717 km au compteur, il termine à la huitième place au général et troisième de sa catégorie, qui a été atomisée par la bruyante Puch de l'Autrichien Weingartmann. Bruyante mais efficace, cette 250 d'usine, monocylindre/double-piston a pris la deuxième place au général à plus de 95 de moyenne, juste derrière l'inamovible tandem Norton-Gustave Lefèvre. 

    La fin de cette année 1953 va voir un changement important dans la carrière journalistique de Christophe. C'est d'ailleurs sous son nom de famille (estropié en Cristophe), et non plus Ch2, qu'il signe deux articles à la fin de 1953 dans Motocycles et Scooters, la revue rivale de Moto Revue. Ironie de l'Histoire, il va s'y faire un ami en la personne de Paul Niedermann, dans une rédaction moins "corsetée" que celle qu'il quitte.

    DEUX PRATIQUES DU JOURNALISME

    Motocycles est une réunion de pigistes plus ou moins réguliers. Ils sont une majorité dans cette revue bi-mensuelle où chacun est libre de ses collaborations extérieures, chez d'autres supports plus ou moins concurrents (Le Scooter, Revue Technique Motocycliste, l'Automobile, etc), voire sous pseudonyme dans Moto Revue. Les journalistes de MR, eux, sont des salariés réguliers, tenus en principe à la fidélité à leur outil de travail. Enfin, et grosse différence entre les rivales, à Motocycles presque tous sont des journalistes-pilotes sportifs. André Nebout, alias Tano roule en vitesse (Bol d'Or, Côte Lapize, circuit de Provins) ; Legrand-Jacques est crossman ; Robert Court pilote une 175 ou fait le singe en sidecar vitesse ; Mouchet maîtrise une Gold Star en cross. Avec Christian Christophe, dernière recrue, il y aura Paul Niedermann (voir article du 12 mars 2019) qui fera plusieurs Bol d'or. Dont l'un se courut, justement, en équipe avec Christian Christophe.

    Ce dernier, et c'est l'ironie de l'Histoire évoquée plus haut, sera donc l'ami de Paul Niedermann, un Juif pourchassé dans sa jeunesse par la France de Vichy et la Gestapo, alors qu'il a été (il l'est toujours) ami avec Robert Sexé, celui qui a "collaboré" avec ces mêmes persécuteurs de Niedermann !

    À la décharge de Christophe, il faut dire que personne ne connaissait le passé trouble de celui que, dans les années trente, Moto Revue appelait parfois "Le Juif errant" (c'était alors "pour de rire"...). Un personnage dont, de nos jours, la réhabilitation a été entreprise dans un ouvrage qui ignore totalement les engagements plus que douteux de son "héros". On choisit ses idoles comme on veut, c'est sûr, mais certaines sont moins reluisantes que d'autres.

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (6)

    L'une des dernières apparitions de Robert Sexé dans une réunion motocycliste à Poitiers. C'était en 1977, et son voisin, Félicien Certain, s'était offert pour le transporter dans son sidecar Indian

    Les deux articles pour Motocycles et Scooters sont parus dans le numéro de Salon 1953 de la revue. L'un est un survol de la production germanique de l'année écoulée, exercice classique dans cette période de l'année.

    L'autre, dans le même numéro, est plus personnel. On y retrouve la curiosité pour l'exceptionnel de notre explorateur. Il traite du moteur Lohmann, une réalisation allemande qui fait sensation depuis son apparition en 1949, par sa cylindrée de 18 cm3, puis par sa technique autorisant l'emploi de toute espèce de carburant, dont le gas-oil.

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (6)

    Bien vite, trop vite, on l'a donc baptisé "diesel", mais à part son taux de compression extrême (jusqu'à 125 à 1 !) et son absence de bougie, il n'a pas d'injecteur (ruineux) ni de bougie de préchauffage, accessoires indispensables du diesel. La particularité du Lohmann réside dans la variation du volume de la chambre de combustion par déplacement d'une chemise. Une poignée tournante porte deux câbles qui commandent ce mouvement en agissant sur un barillet hélicoïdal tandis qu'un autre câble, sur une autre poignée contrôle l'admission du carburant.

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (6)

    Superbe dessin de Thusius qui mit son talent au service de nombreuses marques allemandes de premier plan. L'essentiel du Lohmann est visible ici, depuis le levier qui permet de mettre en contact le galet d'entraînement avec la roue du cycle jusqu'aux deux câbles actionnant la "chemise" mobile dans le cylindre (voir autre dessin ci-dessous). Le cylindre horizontal à trous est le filtre à air qui conduit au rustique carburateur avec son câble de commande de la diffusion du carburant, lequel arrive par le tube qui passe entre la fourche au pédalier du vélo. (c'est avec l'essence que le Lohmann était le moins performant...) 

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (6)

    Dans son commentaire de présentation du Lohmann, Christophe écrivait : "Il y a sur terre beaucoup d'endroits où l'on serait content de verser un mélange "au pifomètre" en pétrole-essence-huile dans le réservoir pour faire marcher le moteur sans savoir ce qu'est une bougie... des perles, etc". Il semble que ses paroles étaient prémonitoires car ce petit moteur, d'une technique révolutionnaire pour le monde motocycliste, ce petit moteur adaptable sera vendu, et construit sous licence, à des milliers d'exemplaires dans le monde entier, jusqu'au Japon.  

     (À suivre... car j'en ai encore sous le pied !)

     


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  • Commentaires

    1
    jackymoto
    Jeudi 13 Janvier 2022 à 22:00

    Au guidon du side Indian, avec lequel il trouvera la mort en se retournant presque à l'arrêt, c'est Félicien Certain, le père de Pierre  dont la profession  peu courante était poseur de side-car.

    2
    Vendredi 14 Janvier 2022 à 11:08

    Merci de la rectification, je l'ai reportée dans l'article

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