• Les B.M.W. "françaises" (2)

    LA PÉNURIE DE MACHINES au lendemain de la guerre a suscité de nombreuses vocations de mécaniciens-motos et les "spécialistes" en allemandes foisonnent, surtout à Paris et sa banlieue. Certains d'entre eux feront souche, tels Bonnardel & Murit ; Roger Sceaux (Transact' Motos) ; la Station-Service, 83 avenue de la Grande-Armée qui se spécialisera dans les DKW autos. À Puteaux, la CRUPDA (Centre de Récupération et d'Usinage de Pièces Détachées Automobiles) écoulera son stock durant de longues années.

    Plus éphémères, on trouve Moto Station dans le 20e ; Rallye Brunet (bld Serrurier) ; Wagner, un ancien coureur vite remplacé par Pilz, rue de Chabrol ; Bonneau, à Clamart ; Paul Ladevèze qui abandonnera rapidement BMW pour le multimarques. Rieucau et ses "machines à reconstruire".

    Noyés dans la masse des deux à trois pages (!) de petites annonces de Moto Revue, des particuliers proposent de la pièce détachée. Elle est parfois volumineuse comme ce "cadre avec fourche et pont d'une 750 allemande". Chez un autre ce sera la pignonnerie d'une boîte à vitesse, un embiellage ou encore un réservoir et des grippe-genoux, une roue (sans pneu), un phare, une magnéto, etc. Plus étrange, un moteur "dédouané" d'une Zündapp KS750 sera proposé en mai 1951. On rappellera que le usines Zündapp ont été durement touchées à la fin de la guerre. Avant de revoir une première moto, la DB 201, la marque survécut grace à ses machines à coudre électriques et ses matériels de minoterie destinés au nettoyage et broyage des céréales (sans oublier l'aide du Plan Marshall..).

    Les B.M.W. "françaises" (2)

    La couverture du mois de mars 1946 de Moto Revue (alors mensuel) indique le chemin que vont prendre les prises de guerre de nos armées. 

    L'origine du petit commerce de pièces, plus ou moins honnête (on a pris ses habitudes avec les années de marché noir...), est à chercher dans le désossage normal d'épaves mais elle est parfois douteuse, genre "tombée du camion". Il y a aussi les motos  allemandes rapportées du pays vaincu par les militaires préférant ces "souvenirs" de guerre, plutôt qu'un casque ou un ceinturon siglé SS.

    L'exemple le plus connu étant la BMW 500 Kompressor de Jacques Charrier (Rapid' Motos, à Saint-Cloud), membre de l'armée de Lattre, et qui a séjourné un temps (la BMW, pas l'armée) chez John Surtees. Ce dernier l'avait d'ailleurs exposée à Montlhéry lors de l'une des premières réunions d'anciennes, mais elle ne tournait plus. Moteur bloqué car "quelqu'un" s'en était servi sans savoir qu'il faut graisser un compresseur avec quelques gouttes d'huile dans le carburant (Big John dixit)...

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    Aux dernières nouvelles, cette BMW Kompressor figurait dans une vente Bonhams aux États Unis. Elle ressemble, trait pour trait, à celle qui fut détaillée sur 2 pages avec de nombreux dessins dans Moto Revue en septembre 1946. Cent mille sucettes de récompense à qui nous en dira plus.

    J'ai ainsi - moi-même personnellement - participé à la restauration d'une BMW R12 revenue par la route en 1945 aux mains du père motocycliste d'un ami. Ce fut l'occasion de découvrir avec surprise, on était alors en 1980 (!), un solide réseau français de fournisseurs de pièces encore bien emballées dans leur  papier gras d'origine... mais à des prix "actualisés" ! Les trésors du C.M.R. n'avaient donc pas été perdus pour tout le monde.

    EN PROVINCE AUSSI...

    Partout en France le négoce de la moto d'occasion connaît ses heures de gloire durant la décennie 1945-1955. Dans le Midi, la reprise de l'activité sportive y est pour beaucoup, suivant l'exemple du Grand Prix de Nice couru dès 1945. C'est une activité alimentée par quelques Guzzi ex-armée italienne et des 250 Benelli dont l' arbre à cames en tête et la suspension arrière attirent la "réalisation personnelle". Les allemandes aussi y sont recherchées. Mais pour de toutes autres raisons ainsi que me l'avait raconté Francis Gouirand, rencontré chez lui à Marseille il y a quelques années. On l'écoute :

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    À gauche, l'écurie-garage-atelier des premiers Ets Francis Gouirand, rue de Toulon. À droite une exposition de machines avec un sidecar immaculé, montage "maison" à base de BMW R75. 

    "Mon premier magasin, c'était avenue de Toulon, une écurie qu'on m'avait prêtée et j'en ai fait un atelier de mécanique. C'était au Parc à Fourrage, dans une rue à côté de la grande gendarmerie de Marseille. Et là, comme j'étais tout près, je réparais toutes les motos des gendarmes. Parce qu'à cette époque-là, les gendarmes ils avaient des BMW, des Triumph, des BSA (NdA : prononcer Bé Hesseu A). Ils prenaient n'importe quelle marque, toutes les bonnes motos qui venaient des Domaines parce qu'ils étaient prioritaires. Moi, j'avais beaucoup de pièces de ça alors, quand ils ne s'en sortaient pas, ils me les apportaient et moi je les réparais avec les pièces que j’avais."

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    Superbe attelage mené par Francis Gouirand, dans un défilé où les BMW dominent. Sa machine est un assemblage de pièces autour du moteur de la R75 Russie, selon une technique que plusieurs mécaniciens doués, d'un bout à l'autre du pays, découvriront presque en même temps. Resté fidèle à BMW, F. Gouirand en deviendra l'un des plus gros distributeurs et, dit-il "C'était du boulot car on a fait jusqu'à 3000 machines par an !".

    À Paris, l'initiative qui aboutira à la R73, un sigle inconnu dans la dynastie motocycliste de BMW, reviendrait à Jacques Dormoy, un ingénieur embauché dans un C.M.R. devenu Société d'Etude et de Construction de Motocycles Rapides en France (!).

    L'utilisation du matériel dans la fabrication des BMW/CMR laissait de côté quantité de moteurs R75 (Russie) dans les locaux de Neuilly. Pour les utiliser, J. Dormoy eut l'idée d'en installer un dans le cadre en tube de la R5 puis de la R71 à suspension coulissante. L'idée plut à la police parisienne qui passa commande de 100 exemplaires de cette R73, ainsi présentée comme le chaînon manquant entre R71 et R75.

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    Autre variation méridionale sur le seul thème R75 dont le garde-boue avant démontre l'influence de la carrosserie américaine automobile. La caisse du sidecar (aluminium ?) est aussi un beau morceau de bravoure. 

    Cependant, une concurrence était née dans le monde civil où de nombreux mécaniciens avaient entrepris la construction de leur propre R73. Tout ce qui portait la marque du constructeur munichois était utilisé. On le constate, par exemple sur l'exemplaire ci-dessous parvenu jusqu'à nous à travers plusieurs photographies.

    Les B.M.W. "françaises" (2)

    Soumis à une rapide expertise par Michel de Thomasson, ce montage révèle ses origines : cadre de R5 (culbutée) ou de R6 (latérales) plus fourche, garde-boue, réservoir, guidon Magura avec leviers inversés, pont arrière, les deux roues, boîte avec le sélecteur. 

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    Suite de l'expertise avec au guidon Robert Lépaulard, sans doute à l'origine de cette construction. Le diagnostic se poursuit par l'examen du moteur modifié par l'ablation de la dynamo en bout de vilebrequin qui aurait interféré avec le garde-boue avant. Une magdyno de R12 à avance manuelle est montée sur le bloc. Phare français avec ampèremètre, français également les silencieux et les couvre-culasses en alu poli. 

    Robert Lépaulard était à la tête des Ateliers Eugène Lépaulard - Constructions Métalliques-Chaudronnerie- Persiennes en fer, créés en 1878 route de Chatillon à Malakoff. Par ailleurs, la F.F.M. lui avait délivré en 1928-29 un Laissez-Passer de photographe, témoignage de son implication dans le motocyclisme et la compétition. Ce qui est confirmé par deux ou trois photos où on le voit à Montlhéry en compagnie de Jeannin, le pilote Jonghi dont le magasin à la Porte de Vanves était proche de Malakoff.

    Les B.M.W. "françaises" (2)

    Robert Lépaulard à Montlhéry avec Louis Jeannin au Grand Prix de France 1935 que le pilote Jonghi remportera en 250 cm3.

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    Robert Lépaulard photographe a laissé de nombreuses photos de son activité. Une partie sera sauvée de la destruction par un brocanteur qui les récupéra sur le trottoir. Puis il les présenta sur son stand au marché aux Puces de la Porte de Vanves... où elles trouvèrent preneur. Une autre partie échappa à la benne grâce à un motocycliste et photographe amateur qui remarqua des boîtes de plaques-verre débordant d'un carton. 

    Les B.M.W. "françaises" (2)

    Même garage, même R73 avec un pilote qui serait Pierre, le frère de Robert Lépaulard. Motocycliste convaincu, on a des photos de lui sur une Douglas, une Jonghi, une Motobécane ou avec des amis motards, tous membres du M. C. de Vanves. La BMW est encore immatriculée en WO qui prendra en août 1947 un RQ (on ne rit pas !) visible sur la première photo publiée ci-avant.

    Selon Jean Z....r qui fut un ami de Pierre, la famille comprenait deux frères et deux sœurs tous célibataires donc sans héritiers Ce qui explique l'abandon des documents et photographies sur le trottoir lors du débarras des lieux. 

     (À Suivre)

     Sous le titre "Historique des Motocyclettes Cemec & Ratier", Michel de Thomasson a réalisé une plaquette aujourd'hui introuvable qui relate la conversion puis la descendance des flat-twins de l'occupant. 

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    jackymoto
    Jeudi 28 Octobre 2021 à 20:27

    Mes vieux copains me racontaient tous les trafics autour des ventes des domaines: mon copain Adrien avait bossé chez Latscha comme mécano pendant la guerre, et réparait donc des motos allemandes récupérées par la police.Une R 12  lui plaisait bien et il lui piqua le couple conique en se disant qu'il aurait ça d'avance sur les concurrents enchérisseurs. Malgré ça, la moto se vendit bien plus cher que son budget le permettait...et mon copain lui racheta cette pièce importante 60 ans plus tard. Ma NSU Konsul ex armée d'occupation en Allemagne quasi neuve (mais rouillée) avait probablement été amputé de sa transmission primaire pour la même raison, mais ce n'est pas le "bon" acheteur casseur qui l'avait eu! Momo, mon mentor me disait qu'il y avait une rue complète à St Ouen, où les mécanos et autres électriciens vendaient les pièces  et l'outillage qu'ils avaient piqué dans les usines. Prix défiants toute concurrence...

      • Mercredi 3 Novembre 2021 à 19:23

        Les Puces de St-Ouen, en particulier vers la Porte Montmartre où j'habitais, ont eu pendant longtemps un casseur dans un périmètre cerné de hautes plaques de tôle. Il était impossible de savoir ce qu'il y avait dedans sauf que, de temps en temps, le stock débordait et des vieux vélos dépassaient du haut des plaques. C'était ce qu'il y avait de plus léger à balancer sur le tas. La porte ne s'ouvrait que devant les adultes... Je n'ai donc jamais su s'il y restait encore des bouts de motos

    2
    Niko
    Mardi 9 Novembre 2021 à 13:10
    https://www.bonhams.com/auctions/20469/lot/440/
      • Niko
        Mardi 9 Novembre 2021 à 13:13
        C est la moto qui a été vendue PP ar bohnams. La rs255 en photo est bien celle de surtees.elle a bien roule a Montlhéry en 1995. Il l avait achetée par contre cassée aux usa puis revendue a BMW qui l'a sort de temps en temps du musee
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