• Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)

    Sans trop de surprise, on retrouve Christian Christophe au travail dès septembre 1949 dans un article de la toute jeune revue Motocycles. Pas de surprise non plus avec le sujet qu'il traite : la suspension arrière des motos. Après avoir passé en revue toutes les solutions en vigueur, coulissantes (allemandes et anglaises en majorité), oscillantes (Guzzi, Gilera), oscillo-coulissantes (Ariel, Sublime, Souplexol), il en arrive au "moyeu suspendu". Deux modèles existent alors : Triumph (en option) et Nivel, nouveau venu français qui propose lui aussi son type adaptable. À peu près en même temps un autre français arrive sous la marque G.B.G. (sans doute Gilbert Brassine et G?), d'après Brassine, le pilote qui courra quelques temps sur F.N. en championnat de France Inter. Il a commencé sur une F.N. de tourisme qui avait déjà des suspensions d'une architecture tourmentée, utilisant des anneaux Neimann.

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)

    L'étrange suspension avant des F.N. (baptisée "fourche lance-pierres") qui apportèrent le premier Championnat d'Europe (1951) au prodigieux Victor Leloup (ci-dessus). Le pilote belge avait d'autant plus de mérite que, suite à un accident du travail, il avait perdu l'usage d'un œil ! En France, c'est Gilbert Brassine qui tirera le meilleur de ce monocylindre ACT, et aussi Henri Frantz, autre grand champion emporté trop tôt par une maladie implacable.

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)

    Du genre oscillo-coulissante, la suspension arrière de la F.N. de cross comportait des petits amortisseurs hydrauliques qui se retrouvent aussi à l'avant. Rigidité à toute épreuve, mais complication inutile par rapport à la classique oscillante qui va s'imposer, comme la fourche télescopique à l'avant.

    Dans son texte de Motocycles Christophe revient sur le moyeu à anneaux de caoutchouc qu'il préconisait avant-guerre (voir article du 10 novembre). Les anneaux étaient alors disposés à l'extérieur du moyeu, reliés à la jante par des rayons. Sur le Nivel, ces anneaux sont à l'intérieur de ce moyeu, du moins dans la dernière version de 1950. Auparavant, c'est une construction assez lourde qui faisait le même travail, plus compliquée et surtout plus onéreuse.  

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)

    De gauche à droite, les versions du Nivel 1947, puis 1948 (il s'agit peut-être du même) et enfin 1950. Sur cette dernière, il manque le flasque de fermeture dans lequel est pratiqué une "boutonnière" verticale dans laquelle se déplace l'axe de la roue. Même flasque évidemment sur le côté opposé.

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)

    Dans une autre vie, le lecteur d'une revue où j'ai publié ce dessin, ou celui d'une autre marque mais d'un principe identique, ce lecteur donc, disait hésiter à démonter celui qu'il avait trouvé, afin de voir "comment c'était dedans". J'espère l'avoir suffisamment convaincu de n'en rien faire !

     On va retrouver plus loin les écrits de notre Ch2 sur les suspensions alors qu'il change de registre, toujours dans Motocycles de mai puis juin 1950. Sous le titre "Où en est l'industrie allemande de la moto ?", il passe rapidement en revue les diverses productions germaniques, dont beaucoup sont de faibles cylindrées. Les autorités alliées ayant levé en 1947 la limitation à 60 cm3 des motocycles, elles avaient permis aux constructeurs de passer sans problème à 100 cm3, voire un peu plus. D'où la naissance de la NSU Fox 100, la Adler 100, la Imme, et autres 125 DKW ou Tornax. À l'étage supérieur, on ne trouve que la BMW R51/2, une version "toilettée" de la R51 de 1938. Toujours chez les gros, la KS 601 Zündapp reprend elle aussi une vieille recette avec son moteur dérivé du KS 600 d'avant guerre. Mais sa partie-cycle, désormais en tube avec télescopique avant et coulissante arrière, fait figure de vraie nouveauté qui comblera les attentes des amateurs de sidecar.
    Christophe termine ses considérations par des mots prémonitoires : "On a nettement l'impression que ces quelques nouveautés ne constituent qu'un simple lever de rideau. Elles témoignent toutefois de la vitalité d'une industrie qui a tant contribué au développement commercial, technique et sportif de la motocyclette". Au regard des chiffres qu'il avait publiés au début de son article, il pouvait  être optimiste : l'Allemagne avait produit 13 973 motos durant l'année 1948 et 27 765 pour les 6 premiers mois de 1949. Le double ! 

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)

    Au guidon du sidecar Zündapp, ici en Allemagne, Ch2 le conduira jusqu'en France. Il fera l'objet d'un essai à quelques semaines d'intervalle par Moto Revue puis Motocycles, muni d'une immatriculation bidon en WO. Il était courant à Moto Revue de rouler avec un véhicule d'essai sans carte grise, car prêté par un concessionnaire. Celui-ci étant peu désireux de se priver du précieux WO de garage pour plusieurs jours, on circulait avec ce numéro barbouillé sur les plaques, mais sans le carton qui devait le justifier.

    Passant d'une revue à l'autre, Ch2 publie le 19 janvier 1952 dans Moto Revue un article riche en idées nouvelles. Elles concernent d'abord le cyclomoteur pour lequel il avoue "une faiblesse", ayant déjà parcouru 2 000 kms sur un Cucciolo, 400 kms avec le Lohmann, 150 sur une Mobylette en plus de petits parcours sur Velosolex et Mosquito. Il déplore cependant le manque de confort de ces BMA dont le poids, avec le pilote, se porte sur l'arrière non suspendu de la machine. Il présente sa solution utilisant 3 tubes seulement pour la partie-cycle : tube de la colonne de direction, tube de selle et tube formant réservoir du mélange deux-temps. "Ce cadre simple existe depuis 8 semaines, dit-il, je le promène sur les parcours onduleux de la banlieue sud-ouest".

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)

    La silhouette d'un cyclomotoriste montrant la répartition des masses selon Ch2. À droite, la suspension arrière de son cyclo personnel. Du type oscillant elle utilise un bloc de caoutchouc qui assure à la fois la suspension et l'amortissement. 

    Avec cette architecture de cadre déjà peu courante, Ch2 ajoute un moteur tout aussi peu courant : un 50 cm3 bicylindre deux-temps parallèle ! installé devant le pédalier et légèrement incliné. Afin de gagner dans la largeur de ses deux fois 35,5 mm x 31 mm, pour laisser leur mouvement aux manivelles du pédalier de la bicyclette, les deux bielles sont en porte-à-faux, fixées de chaque côté d'un volant central, selon un schéma qui a fait ses preuves chez... Scott depuis 1908.

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)Économie : deux roulements seulement pour l'embiellage et une courte chaîne qui entraîne le galet. Mais pas d'embrayage prévu ou alors déplacement façon Solex de tout le bloc, pour libérer ce galet ?

    À la recherche de la simplification pour l'utilisateur et de l'économie dans la fabrication, Christophe était partisan de la transmission par galet : suppression de la chaîne (et de son entretien fastidieux), exit la grande couronne arrière. Le Vélosolex en France ainsi que le Mosquito italien avaient validé ce choix.

    Avec ce moteur, Ch2 estimait qu'il avait une bonne souplesse doublée d'un puissance acceptable, mais à peine plus que celle que fournirait un monocylindre. Donc, il retire son dessin et en sort un autre ! 

    Cette fois encore c'est de l'inédit dans le domaine du cyclomoteur, quoique bien connu dans celui de la moto. Christophe retourne à ses amours de l'époque DKW : le piston-pompe qu'il appelle "pompe auxiliaire". Il revient sur son expérience d'avant la guerre, évoquant sa 125 DKW RT modifiée par ses soins "qui était un petit engin épatant pour l'usage en ville. Inutile de rétrograder", conclut-il. En deux photos, il présente, toujours dans Moto Revue, avec une légende "un projet qui, lui, fut réalisé : il s'agit d'un deux-temps mais cette fois-ci avec un piston-pompe situé à 180° par rapport au cylindre moteur".

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)

    Suivent des  explications que donne Christophe : deux bielles sont placées sur le même axe de vilebrequin avec un excentrique actionnant la bielle du piston auxiliaire. On obtient ainsi un équilibre des masses alternatives. Les deux pistons s'écartent simultanément (temps de l'aspiration) et se rapprochent dans le cycle de transvasement (transfert).

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)

    Le groupe mobile dans un demi-carter moteur.

    Ch2 poursuit sa démonstration : "Le luxe d'entraîner un deuxième piston se paie en essence, mais heureusement, l'appétit de ce compresseur reste modeste à bas régime. En le limitant à 4 000 tours-minute (...) nous ne tomberons pas encore dans le régime de la "grande soif". (P.S. ici Ch2 fait allusion à la consommation des DKW de course des années 30 aux monstrueux réservoirs à la taille de leur appétit).

    UN PAS DE CÔTÉ

    Ch2 : l'Allemand qui préférait la France (5)Au premier Salon après la guerre, en 1949 à Liepzig - alors en zone soviétique - cette L60, une IFA-DKW, avait attiré l'attention par sa conception originale.

    Dans son cadre double-berceau était installé un 60 cm3 deux- temps doté d'un appendice ailetté à l'avant de son bloc. Ce petit cylindre abritait un piston-pompe. La suspension avant par fourche pendulaire - déjà rétrograde - et l'oscillante de l'arrière utilisaient des blocs de caoutchouc (une source parle d'anneaux de caoutchouc). Un arbre avec flector assurait la transmission finale. La machine ne reparut jamais et il semble qu'il n'en reste que cet unique document soigneusement retouché.

    Il est peu probable que les nouveaux occupants de Zschopau aient eu le temps de pondre une telle création. Ils avaient d'ailleurs démonté tout ce qui pouvait l'être dans l'usine pour le déménager vers l'Union soviétique. Ce projet de moto ultra-légère devait plutôt dormir dans des cartons, depuis plusieurs années. En effet, la pendulaire et le levier de vitesse au réservoir datent alors que le reste est carrément d'avant-garde. Curieusement on retrouve de ces éléments dans les réalisations de Christophe, dont les suspensions sur caoutchouc et, bien sûr le piston-pompe... que l'on retrouvera sous peu.

    À SUIVRE (et oui, encore !)

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  • Commentaires

    1
    jackymoto
    Vendredi 24 Décembre 2021 à 21:37

    Moyeux suspendus, encore un cache misère pour essayer de rattraper les motos équipées de vraies suspensions . La plus pourrie des coulissantes fonctionne mieux que ça, sans trop abîmer la tenue de route si les bagues ne sont pas bouffées. l'oscillante utilisant des anneaux Neimann (avec deux N) des rares Gima Capri fonctionne trés bien . Le piston pompe sur une petite cylindrée augmente légèrement le couple en bas...et perd de la puissance en haut. Le concessionnaire Motobécane m'avait qualifié la 98 à piston pompe de"vrai veau".

    Un pot d'échappement bien accordé est bien plus efficace, Kaaden avait compris ça très rapidement.

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